Hippie Jack, Witch Please

Sorcellerie, féminisme, et développement personnel

© Berta Pfirsich

Vous savez ce qui me réjouit le plus en ce moment ? Le retour en force de l’occulte, de la spiritualité alternative et de la sorcellerie chez les femmes, et principalement dans les milieux féministes. C’est d’une logique et d’un naturel imparables, ça va aussi bien ensemble que le jus de tomate et la vodka, c’est un duo gagnant qui n’apporte que des bonnes choses.

Pourquoi c’est logique ?

Parce que nous y trouvons deux choses, en tant que femmes et féministes :

  1. Du pouvoir – Une chose qui nous manque cruellement au quotidien, où l’on subit des micro-agressions à longueur de temps et où l’actu nous rappelle sans arrêt le chemin à parcourir. On peut difficilement ouvrir sa gueule sans se prendre une volée de bois vert de la part de nos détracteurs, on ne dit jamais ce qu’il faut quand il faut à qui il faut, y a toujours une tarte à se prendre – au sens propre comme au figuré, malheureusement, bref, il y a de quoi se sentir dépassée.
  2. Une réappropriation du monstrueux – Tout ce qu’il fallait pour qu’une femme soit accusée de sorcellerie à l’époque de l’inquisition, c’était un peu d’indépendance. Dès qu’une femme pouvait globalement se démerder sans un homme, c’était suspect, et ça suffisait à éveiller les soupçons. Si elle était instruite, qu’elle pouvait soigner, apporter quelque chose aux gens et vivre de ses talents, alors là c’était le gros lot. Bien sûr, c’est plus compliqué que ça et les femmes sont loin d’avoir été les seules victimes de ces atrocités, mais il y a quelque chose de magique, justement, dans l’idée qu’on puisse être les descendantes des sorcières qui n’ont pas été brûlées. On redéfinit l’idée de la vilaine fée carabosse, de la figure effrayante qui mange les petits enfants, en se mêlant à la foule, conscientes de nos pouvoirs et de notre force.

À côté de ça, nous avons aussi la montée du développement personnel pour un public plus jeune, pour les entrepreneurs, les vingtenaires perdus, bref, notre génération (les fameux « millenials chouineurs » tant méprisés) qui constitue un terrain encore plus fertile. Parce que sorcellerie et développement personnel sont intimement liés – après tout, le concept même de la sorcellerie est de créer des situations aux issues positives pour ceux qui en font usage. On s’en sert pour améliorer son quotidien, depuis toujours.

Alors certes, les problématiques ne sont plus les mêmes aujourd’hui – la science a fait suffisamment de progrès aujourd’hui pour qu’on puisse s’en contenter 98% du temps pour les problèmes graves. Pour le reste, il y a l’intention. La manifestation. Ce qu’on appelle les lois de l’attraction.

La sorcellerie, c’est ça. C’est mettre son intention, son énergie, ses désirs les plus profonds au centre de ses préoccupations, et s’appuyer sur une explication plus spirituelle pour les manifester, s’attirer les faveurs du destin, et se créer une vie meilleure. Ce n’est pas jeter trois yeux de tritons dans une marmite en chantant un truc en latin et se réveiller le lendemain avec 100 000 euros en petites coupures sous son oreiller. Déjà parce que bonjour le torticolis, mais surtout parce qu’on n’a plus cinq ans et qu’on a bien compris que les choses ne tombaient pas du ciel.

Si je pratique la sorcellerie (bien que ça me fasse toujours moi-même rire quand j’emploie ce terme au premier degré, tellement ça me paraît déconnecté de la réalité), c’est pour manifester mes intentions, pour méditer, pour pratiquer l’introspection, pour gérer mes angoisses, mon anxiété, et rationaliser ce que je ne peux expliquer et qui peut me bloquer au quotidien. Je donne une explication spirituelle à mes agissements et à leurs conséquences, à tout ce qui se passe autour de moi, parce que ça me rassure. C’est pareil que la religion, finalement. On a tous peur de l’inconnu à des degrés différents et on choisit tous de se réfugier dans divers courants pour expliquer ce qu’on ne comprend pas – certains choisissent la religion, d’autres la science pure et dure, et d’autres la sorcellerie, même si ça fait pouffer les copains.

© Rebecca Storm

J’ai été élevée dans un environnement très spirituel, ma mère est clairement une sorcière undercover et mon père, bien qu’extrêmement cartésien, avait lui-même tendance à m’inventer des histoires incroyables quand on se promenait dans les cimetières pour rendre la mort plus belle et moins effrayante à mes yeux. Du coup, ça m’a toujours semblé logique et naturel d’expliquer ce qui se passait autour de moi de façon un peu surnaturelle, en parlant de flots d’énergie et des forces de la nature et des esprits et tout ce bla-bla new age. Parce que ça me convient. Parce que ça m’a aidée, ça m’a fait un bien fou, ça m’a sortie de beaucoup de périodes sombres.

Chaque incantation est un mantra. Chaque sort est une manifestation. Chaque tirage de carte est une séance de méditation et d’introspection.

Quand on me demande « Mais, tu y crois vraiment ? » je ne sais jamais quoi répondre. Je ne sais pas ce que ça veut dire qu’y « croire vraiment ». Oui, je crois que ça marche, pour moi. Oui, je crois que ça me fait du bien. Oui, je crois que ça me permet de me mettre dans l’état d’esprit nécessaire à la réalisation du souhait que je formule, et que tout le reste découle de mes actions, et de mon moral.

Alors je tire les cartes, je fais osciller mon pendule, je salue la pleine lune, la nouvelle aussi, le soleil, les planètes, je purifie mon appartement quand je l’ai rempli de mauvaises ondes, je crée des petites bouteilles et des petits sachets pleins d’ingrédients secrets pour me concentrer sur un but précis et me créer des ancrages. C’est une forme de thérapie (à noter que je suis également une vraie thérapie hein, parce qu’on soigne pas tout à coups d’encens et de cristaux non plus, ça peut aider, mais rien ne vaut un vrai bon traitement quand on est malade).

Ça me permet d’avoir une prise plus concrète sur ma vie, de faire des choses qui me font du bien et qui me renvoient une image suffisamment fantasmagorique pour rendre les choses plus stylées mais aussi proche de mes racines (il y a pas mal d’histoires de sorcières dans ma famille kabyle, j’en ai entendu des trucs chelous). Cet intérêt pour l’occulte, le paranormal, le mélange entre science et magie m’a toujours attirée et je l’ai longtemps caché parce que c’était trop enfantin et que j’avais honte d’y accorder du crédit.

Aujourd’hui, je dis merde. Ouais je tire les cartes, oui je crois aux signes, oui je suis persuadée que mon thème astral me dit tout sur ma vie, oui mes rituels fonctionnent – et oui, il y a sûrement une explication rationnelle à tout ça, mais aujourd’hui, je m’en fous. Seuls les résultats importent. J’ai choisi d’interpréter mon pouvoir d’action comme ça, parce que c’est mieux que l’image que j’avais de moi avant – une vieille larve nulle à chier, bonne à rien, qui attend sagement la mort en faisant semblant d’évoluer parmi les vivants assez souvent pour donner l’illusion d’être sincère.

Je me sens mieux parce que je suis en thérapie. Je me sens mieux parce que j’ai un traitement adapté à mes troubles. Et je me sens mieux aussi parce qu’au lieu de méditer, de courir tous les matins et de boire des smoothies au kale, je brûle de l’encens en envoyant chier les mauvaises ondes et je décore mon autel selon les saisons et mes envies pour qu’il reflète ce qu’il y a de plus beau en moi et laisser moins de place au pourri. Et que j’assume enfin cette partie de moi que j’ai toujours cachée par honte d’être taxée de créature faible, crédule, et immature.

C’est ma foi, c’est ma route, ça me regarde, et si vous vous y reconnaissez, rejoignez-moi, on va se marrer.