Je te raconte ma vie

Je ne serai jamais la féministe de vos rêves

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On peut pas gagner à tous les coups. On ne peut pas satisfaire tout le monde. On ne peut pas plaire à tout le monde. Ça vous paraît familier ? Normal, c’est à peu près ce qu’on vous rabâche depuis toujours. Ça s’applique à pas mal de trucs, mais depuis quelque temps moi je me le répète en ce qui concerne « mon féminisme ».

Parce qu’il ne sera jamais au goût de tout le monde.

D’un côté il y aura toujours ceux qui me trouvent trop extrême, trop chiante, trop sensible. Je chipote et je censure et je fais chier parce que je l’ouvre dès qu’on dit un truc de traviole (ou plutôt que je juge être de traviole). Avec moi, on peut pas rigoler, ooohhh ça va, on peut plus rien dire. Je saoule tout le monde avec mes histoires de règles et de chatte et de racisme ordinaire et de patriarcat et oooh, c’est lourd.

Et de l’autre, il y a ceux qui me condamnent parce que je fais pas assez. Parce que je sors avec bidule et que je sers la main de machin en soirée et que euh bon euh bah ça fait pas sérieux quoi. Je m’acoquine avec des démons, des vilains méchants aux propos immondes, je trahis ma cause en continuant de faire la promotion de personnalités et d’entreprises qui oeuvrent pour le mal, qui sont racistes, transphobes, grossophobes, validistes, homophobes et, bien sûr, sexistes.

Ben vous savez quoi ?

Je ne sais pas quoi vous dire. De la merde, j’en ai balancée dans ma vie. Y a dix ans, j’étais misogyne et fière de l’être, je détestais les autres femmes, je trouvais ces histoires de poils, de règles, de rapport au corps et de queerness complètement débiles. C’était des trucs de hippies mal branlées qui cherchaient la merde parce que leur vie puait du cul, et rien de plus. Parce qu’elles étaient moches et pas adaptées à cette société pourtant pas bien compliquée et qu’elles voulaient se venger de ce monde qui refusait de les regarder et de les accepter telles qu’elles étaient. Alors que ça leur aurait pas arraché le clito de faire un effort de mise en pli, merde.

Plus tard, je me suis calmée. J’ai écouté, j’ai appris, j’ai constaté que moi aussi je mangeais de la merde à tous les repas et que je me posais pas trop de questions sur le contenu de mon assiette parce que eh, c’est comme ça, c’est la vie d’une femme. Alors j’ai commencé à fouiller et à ouvrir ma gueule, petit à petit, et là encore j’ai dit de la merde parce que parfois je parlais trop vite.

Abolir le terme « mademoiselle » ? Non mais ça va pas bien ? J’y tiens moi, ça me rappelle que je suis jeune et fraîche et disponible contrairement à « madame » qui fait vieille et déjà trop baisée et il n’y a rien de pire qu’une femme usée et… ah… ah oui je commence à saisir le souci.

J’ai continué mon petit parcours en public, je me suis même construit une mini-notoriété autour de ce statut et aujourd’hui on me met dans des listes de « féministes à suivre sur Twitter » et on m’envoie des messages pour me dire que je suis badass et que c’est trop bien ce que je fais et moi je bombe le torse et je me dis ouais, ouais j’suis stylée, je me bats contre le patriarcat, je suis une amazone, j’ai peur de rien.

Et puis demain, je dirai une autre connerie (peut-être même que cet article est une connerie que je regretterai, allez savoir) et on viendra me signaler que ce que je fais n’est toujours pas assez bien et que ça n’a toujours rien de révolutionnaire et on me reprochera de pas descendre dans la rue et de ne pas assez m’exprimer sur les trans* noires ou sur les agenres ou les travailleur-ses du sexe et je bafouillerai que euh bah euh oui c’est vrai mais euh enfin vous comprenez… j’y connais rien.

Et c’est vrai. J’ignore encore TELLEMENT de choses. J’y travaille, chaque jour. J’ai créé un blog sur les règles et je me casse le cul à essayer de le rendre aussi inclusif que possible de manière à ce que chaque individu puisse s’y retrouver d’une manière ou d’une autre et que les trans* et les personnes non-binaires ne soient plus exclues des conversations sur les règles et on m’engueule encore parce que, bon, quand même, ça manque de poils sur ma bannière.

Et oui, je choisis mes combats parce que je ne peux pas être partout à la fois et que je préfère à la limite RT quelqu’un-e qui parle d’expérience, de vécu, plutôt de que parler à sa place parce que j’aurais trop peur de dire une connerie.

C’est important de souligner les erreurs. C’est important d’apporter de nouveaux points de vue, sans cesse, encore et encore. C’est important de signaler à quelqu’un-e qu’il a peut-être dit une connerie et que ce serait pas mal qu’il se renseigne sur tel ou tel sujet avant de l’ouvrir à nouveau, histoire de ne plus heurter les gens. Mais on ne changera jamais quelqu’un en une phrase, en une intervention, et encore moins en une interpellation agressive. Même si putain, qu’est-ce que c’est tentant parfois d’attraper quelqu’un-e par les oreilles et de lui hurler « TU DIS DE LA MEEEEERDE ».

On ne peut que semer des graines et voir si ça prend. Et constater aussi qu’au sein d’un même mouvement qui a l’air de se battre pour les mêmes choses, il y a des différences de points de vues, d’autres expériences, des manquements peut-être, des trucs qui mériteraient d’être revus et retravaillés. Mais qui détient la vraie bonne parole absolue et totale ? Qui se comporte de manière totalement irréprochable chaque minute de chaque heure de chaque jour depuis sa naissance ?

Ouais on nous dira que ça compte plus quand ça vient de nous parce qu’on évolue en public et qu’on risque de faire des dommages, mais on risque aussi de susciter un débat intéressant, au pire. Et ouais on dira de la merde et on se plantera et on se roulera peut-être un peu trop longtemps dedans, mais au moins on essaye putain.

Je ne serai jamais la féministe de vos rêves. Je ne serai jamais parfaite. Mais je serai toujours à l’écoute et toujours en constante évolution parce que je VEUX réussir à comprendre les points de vue des gens qui m’entourent – mais je ne pourrai jamais être tout le monde à la fois. Je suis une femme cis hétéro d’origine maghrébine sans handicap (bon je suis dépressive mais ça se gère) et ça me coupe d’un paquet d’expériences que je ne peux comprendre qu’à travers les récits des autres – c’est pas pour rien que je vous demande sans cesse de me raconter, de me parler, de partager, de témoigner et de me corriger si je dis une connerie.

Du coup, non, j’ouvrirai pas ma gueule sur tous les sujets parce qu’il y en a bien trop que je ne maîtrise pas ou sur lesquels je n’ai pas encore réussi à me forger une opinion. Il n’y a aucun mal à ne pas avoir d’opinion, par ailleurs, mieux vaut attendre un peu plutôt que d’en choisir une au pif pour faire plaisir et parce que ça se rapproche le plus de ce qu’on pense être.

Mais je fréquente aussi des gens qui sont à dix mille kilomètres de partager mes convictions. Ça ne m’empêche pas d’en apprécier certains et de m’engueuler avec d’autres, on a des débats, des discussions, des échanges, des désaccords et on en ressort toujours un peu grandis, même si on ne parvient pas systématiquement à faire entendre son point de vue à l’autre. Et je ne me couperai de ça pour rien au monde parce que ça me permet d’affûter mon argumentaire et de mieux appréhender les autres, ceux avec qui je vis, le reste du monde qui existe encore et qui ne pense pas comme moi.

Et j’aimerais bien qu’on arrête de me demander des comptes sur mes fréquentations et mes propos à chaque fois que j’offre la possibilité d’échanger avec moi comme si j’étais à la disposition de tout le monde ou que j’étais le porte-étendard de je ne sais quel mouvement alors que je ne suis que moi, Jack Parker, Taous M. pour les intimes, une meuf qui a dit et qui continuera de dire beaucoup de conneries mais qui essaye constamment de se corriger, même si ça fonctionne pas à tous les coups. Je suis un individu, un être humain, qui se cherche et qui se plante et qui dit encore « PD » quand elle se cogne dans une table avant de se reprendre parce que putain c’est pas bien et qui dit aussi beaucoup trop « putain » et « fils de pute » alors que « pute » ne devrait pas être une insulte et qui dit « va te faire enculer » alors que c’est homophobe et bordel j’en ai de la route à faire.

Je ne suis pas un point de référence, je ne suis que le reflet de mes expériences et de mes propres réflexions.

Je n’ai jamais prétendu être parfaite ou tout savoir, j’ai des opinions que j’exprime très fortement parce que c’est mon caractère qui le veut, mais je me réserve le droit de changer d’avis et, surtout, de vivre ma vie, mon corps, mon parcours et mes fréquentations comme bon me semble. Je me réserve aussi le droit de choisir ce que je prends ou non dans la gueule et les discussions dans lesquelles j’ai envie de m’engager.

Et tant pis si ça en déçoit certain-e-s.

12 réflexions au sujet de “Je ne serai jamais la féministe de vos rêves”

  1. C’est tristement le souci de tous les bons mouvements, exiger la perfection, mais une fois la fougue des débuts passée on sait comme tu le dis si bien qu’on ne peut pas être parfait dans toutes les facettes de nos vies.

    On s’améliore, on améliore la société, tant qu’on marche à bonne cadence dans la bonne direction c’est top.

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  2. Je t’aime. Merci de parler pour ceux et celles qui ne trouvent pas les mots. Et tu m’a beaucoup fait réfléchir, je suis encore à essayer d’envisager la globalité de ces réflexions mais j’y suis presque…enfin😊😍😎

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  3. J’ai rarement trouvé un article aussi ennuyeux de branlette et d’auto-satisfaction, bien qu’il soit écrit par une personne dont je partage la quasi-totalité des convictions. Oui, oui, t’es une bagarreuse. Cookie.

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    1. …Bah je viens pas justement de dire l’inverse ? J’ai dû mal m’exprimer (et sinon tant pis, au pire), désolée de t’avoir autant ennuyée alors.

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      1. Pouet Pouet Jack!

        Le simple fait que tu ais écris cet article est une raison suffisante pour te tapper des coms comme celui un peu plus haut.
        Je crois pas que tu devrais le prendre personnellement (les coms négatifs c’est toujours relou a encaisser mais bon…). Perso je traine pas mal avec les féministes qui trouvent que les autres en font jamais assez et qui sont souvent à la recherche de la féministe parfaite. En fait je pense qu’a partir du moment ou t’accepte le fait de tenir des propos parfois problématiques unsafe ça va. Pis ceux qui gueulent le plus fort sont pas forcément les plus concernés, je suis pute et je hurle pas sur les gens qui disent putain ou bordel même si je sais que c’est problématique. 🙂

        Après Le pb c’est qu’au dela de ne pas être parfaite on est toujours la mauvaise féministe de quelqu’un, comme le combat entre les TM et les pro choix.

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  4. Merci Jack! C’est tellement ça. J’en viens à faire de l’autodérision avant que l’on me fasse la remarque lorsque j’associe « mec = pénis ». Je SAIS que c’est transphobe mais je ne peux pas tourner toute mon attention uniquement sur mes abus de langage.. voilà.

    Ps : je n’ai pas trouvé à quoi renvoient les petites étoiles après « trans », c’est normal?

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  5. Je te plussoie, malheureusement c’est un truc que j’ai retrouvé dans beaucoup de milieux militants, que ce soit féministe, écolo, politique, lgbt etc… le « oui mais c’est pas assez ».
    Ce qui en théorie est parfaitement défendable, mais beaucoup plus dur en pratique. Après avoir été relativement radicale sur plein de points de vue (on va appeler ça le manichéisme de la jeunesse), je me rends compte depuis plusieurs années que c’est même souvent contreproductif.
    La meuf commence tout juste à intégrer le fait que non ce n’est pas forcément à elle de faire le ménage, est-ce que c’est vraiment le moment de la pinailler sur sa façon d’utiliser « enculé » comme un juron sans s’arrêter sur sa signification?
    Le mec arrive à réaliser l’existence du plafond de verre à plein d’endroits où il ne le voyait pas jusqu’à présent, est-ce qu’il faut vraiment s’acharner à lui expliquer qu’il est sexiste parce qu’il lui arrive d’appeler une jeune femme mademoiselle au lieu de madame?
    Le mieux est l’ennemi du bien, et le coup de la barricade qui n’a que deux côtés, ou le « tout tout de suite » est pour moi l’apanage d »une adolescence qui ne s’est pas encore frottée à la réalité, ou de gens qui vivront toute leur vie dans un monde un peu idéal, mais pas très réel.
    Aujourd’hui je suis convaincue que c’est petit à petit qu’on avance, et que soutenir/féliciter sur ce qui est déjà fait/compris est plus productif que de critiquer/pinailler sur ce qui est encore à faire ou à comprendre (les mouches, le vinaigre, la carotte, le bâton, toussa toussa). Il est bien naïf de croire qu’on va renverser en une génération des milliers d’années de patriarcat, et ce serait dommage de décourager ceux qui sont sur la bonne voie juste parce qu’on trouve qu’ils ne vont pas assez vite =)
    Et tes articles permettent de rendre cette voie un peu plus claire pour certains et de les aider à aller un peu plus vite, alors merci meuf pour ton boulot!

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  6. En mode 10 things i like about you (mais je suis flemmarde de nature, je réduirai un peu):

    *J’aime ton écriture, ici et ailleurs. Ce n’est pas un compliment gratuit, juste que tu fais partie de ces gens qui ont sans doute une putain de personnalité à la base (je n’en sais strictement rien en vrai hein), et ça se ressent dans ton écriture. Tu n’as pas peur des sujets qui fâchent, on sent bien que la personne derrière la plume n’est pas un bot sans âme. Tu en chies (comme un être humain), et tu as tes victoires personnelles. Je ne partage pas toujours effectivement tes convictions à 100%, mais si c’était le cas, on vivrait tous dans un monde de bisounours qui folâtreraient à l’unisson dans les prés (c’est un peu mon idéal dans la vie, çà, et une invasion zombie)

    *On ne peut pas plaire à tout le monde et Internet est peuplé de trolls. Donc oui, il y aura toujours des gens pour t’envoyer de la bouse et t’en tartiner la gueule. Je peux t’assurer qu’avec le temps, on finit par tourner la bouse aussi en dérision. Cela ne fait jamais plaisir, donne envie de se cacher sous la couette parce que le monde est toujours plus agréable la dessous. Mais tu fais déjà très bien la différence entre la bouse et le constructif, et s’il y aura pas mal d’instants couette à l’avenir (faut pas se leurrer), tu continueras à tracer ton ptit chemin, n’en déplaise aux jets de bouse (je suis un peu portée caca en ce moment, sorry).

    Donc, continue à faire, car tu le fais très bien.

    Et j’ai hâte de lire un de tes livres, que tu le fasses maintenant ou dans 10 ans.

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