Je te raconte ma vie

Dépaysement

Blesle13

Ça fait environ un an que je répète très régulièrement (souvent plusieurs fois par jour) à quel point je rêve de campagne, de forêt, de champs, de petit village perdu au fin fond du trou du cul du monde. Et ça fait autant de temps que j’attends de trouver l’opportunité d’aller me perdre ailleurs pendant quelques jours, seule ou accompagnée, sans succès.

Il y a bien notre week-end annuel entre potes dans un gîte qu’on se fait chaque été, mais on est quarante-mille et c’est bien trop court pour profiter de chaque carré de verdure qui nous entoure.

Alors en attendant, je rêve, je me promène mentalement dans mes souvenirs, dans tous les petits coins que j’ai eu la chance de hanter pendant mon enfance et mon adolescence parce que j’ai une mère qui m’a certes élevée à Paris mais qui a tout fait pour que je puisse accéder à autre chose au minimum une fois par an en m’envoyant dans les familles des uns et des autres (ceux qui ont la chance d’avoir des « maisons de campagne », en somme).

Pendant trois ans, ma « maison de campagne » se trouvait à Blesle – un petit village de 500 habitants situé dans une cuvette auvergnate. J’ai eu la chance de m’y retrouver parce que la famille de ma meilleure amie y avait une grande maison et qu’on pouvait aller s’y réfugier chaque année pour les vacances de février-mars.

Blesle est un village médiéval qui a gardé toutes ses vieilles pierres, ses constructions et son ambiance malgré l’arrivée tonitruante du XXIème siècle. Comme il est minuscule, on pouvait le parcourir de bout en bout plus de mille fois en une journée sans jamais s’en lasser, en découvrant toujours d’autres conneries à faire pour profiter de notre liberté sans limite. Il n’y a pas vraiment de danger, à Blesle, alors on pouvait sortir à 15h comme à 3h du matin sans prévenir personne et sans que ça ne crée de scandale.

C’est à Blesle que j’ai le plus expérimenté avec l’équitation, puisque le gérant du centre équestre du coin était un ami de la famille et qu’il nous laissait prendre nos chevaux à toute heure de la journée et partir en balade aussi longtemps qu’on le désirait. C’est grâce à ça que j’ai pu monter un cheval à cru au milieu d’un cimetière, comme une bonne petite goth (même si, ok, mon cheval était gris pommelé avec une crinière qui tirait sur le jaune et qu’il commençait à se faire vieux, mais c’était classe quand même). C’est avec lui que j’ai appris à gérer un cheval qui se cabre, parce qu’il avait un caractère aussi pourri que le mien (et que j’ai fini par vivre ça comme des simples crises de hoquet).

C’est à Blesle aussi que j’ai pu réaliser l’un de mes plus gros fantasmes : traîner dans un cimetière en pleine nuit. Parce que là-bas, tout est toujours ouvert, personne ne craint rien, et tout est libre d’accès même au milieu de la nuit. C’est à Blesle que j’ai réalisé que c’était un fantasme débile et que j’avais clairement vu trop de films et lu trop de livres pour vivre cette expérience sereinement et que j’ai failli pisser de trouille sur les tombes des ancêtres du village.

J’ai pas mal blasphémé à Blesle, puisque l’église du village était toujours ouverte (et vide) et qu’on en a profité pour réaliser d’autres fantasmes : monter sur l’autel, dans la chaire, décrier des sermons d’hérétiques, faire de fausses confessions, chanter les louanges de Satan face à une reproduction du Christ et se gaver de Maltesers sur les bancs, (même si on faisait moins les fières une fois la nuit tombée, parce qu’on avait peur de se retrouver possédées).

J’ai vécu les plus belles vacances de ma vie à Blesle, parce que j’ai connu la liberté, la vraie, l’inconditionnelle pour une ado de 13-14 ans et sa meilleure amie. Les parents étaient trop occupés à souffler (et fumer) dans leur coin pour s’occuper de nous et se contentaient juste de vérifier qu’on était vivantes, repues et propres (au moins un jour sur trois). Pour le reste, ils nous laissaient vivre notre vie.

Du coup, on en a profité. Je garde un souvenir ému du moment où on a décidé d’embarquer le chien errant du village (une chienne nommée Pepsi) (qui doit être morte de vieillesse depuis tiens, j’y avais jamais pensé, c’est horrible) chez nous pour la nuit. Alors que mon amie se chargeait de distraire son père, j’ai conduit le chien jusqu’à notre chambre – un plan qui nous semblait imparable jusqu’à ce que le père en question nous impose de prendre un bain parce qu’on commençait à sérieusement refouler des interstices.

On a donc dû s’enfermer dans la salle de bain avec le chien pendant qu’on s’entassait à deux dans la minuscule baignoire cubique – un plan qui s’est finalement déroulé sans encombres, jusqu’à ce que mon amie décide de sortir du bain avant moi et de s’amuser à lancer nos chaussettes sales à Pepsi qui se faisait une joie de les rattraper. Et jusqu’à ce que ma bienveillante meilleure amie décide d’envoyer les chaussettes dans la baignoire pour voir si la chienne aurait le cran de sauter dedans pour les rattraper (réponse : oui, elle a eu le cran, et oui, j’étais encore dedans).

Ensuite, il a fallu aller se coucher, et là encore tout se déroulait bien jusqu’à ce qu’on entende les pas affirmés du daron dans les escaliers – il venait tellement rarement dans notre chambre qu’on pensait y être à l’abri avec notre énorme secret plein de puces. Ce qui a suivi ressemblait à s’y méprendre à une scène de dessin-animé : on a bondi sur nos lits, Pepsi a suivi et je l’ai forcée à s’allonger contre mes jambes sous la couverture, qu’on a ensuite recouverte de Picsou Mag et autres Jeune et Jolie pour tenter de camoufler l’énorme bosse qui ne pouvait pas être associée à ma maigre paire de jambes.

On a ensuite dû écouter le sermon du père pendant cinq interminables minutes au cours desquelles j’ai dû maitriser la chienne en gardant mon sourire innocent et en toussant de manière exagérée pour cacher ses aboiements étouffés par la couette. À ce jour, je me demande encore comment on a bien pu réussir ce tour de force.

La chienne n’a finalement pas passé la nuit avec nous, parce que c’était une chienne d’extérieur et qu’elle avait autre chose à foutre que de passer la nuit au pied du lit, et on l’a donc relâchée dans le jardin vers 23h (en espérant qu’elle s’y trouve encore le lendemain) (tu parles, elle a dû filer immédiatement). Ce qui ne l’a pas empêchée de jouer avec nous dès qu’elle croisait notre route dans le village.

Il y a aussi eu toutes ces fois où on sortait déguisées et maquillées pour faire peur aux automobilistes qui traversaient le village la nuit. Notre acte de vandalisme près de la chapelle, lorsqu’on a essayé de voler la couronne qui ornait la tête de la statue de la Vierge Marie au-dessus de la porte. Les longues balades le long de la voie de chemin de fer et les courses hurlantes et endiablées dans les champs plein de moutons. Notre régime à base de carambars et de brioche-nutella. Les longs appels à ceux qui faisaient battre nos coeurs dans le petit bureau de son grand-père, plein d’ossements, de cannes et de vieux livres de médecine aux gravures terrifiantes. L’entrée par effraction dans l’enclos du voisin, pour tenter de monter son beau cheval blanc (sans succès) et courir après ses deux ânes (avant d’être à notre tour poursuivies par les bêtes, et ainsi de suite jusqu’à épuisement).

On a ri, pleuré, crié, on a eu peur, on a eu froid, on a couru, sauté, on est tombées, on s’est fait mal, on a joué jusqu’à tomber de fatigue, pendant des jours et des nuits interminable, chaque année, jusqu’à ce que notre amitié s’épuise. Et aujourd’hui encore, j’y pense souvent et je m’enroule dans ces souvenirs précieux en remerciant tous les éléments qui m’ont permis de vivre ces expériences inoubliables et qui me redonnent le sourire et l’envie de partir à chaque fois qu’elles traversent ma mémoire.

Je payerais si cher pour pouvoir revivre des vacances comme celle-ci, rien qu’une fois. Avoir 14 ans, les cheveux sales et une absence totale de limites à nouveau – et quelqu’un qui ne tire que le pire et le meilleur de moi-même à mes côtés pour se pousser à bout, voir jusqu’où on peut aller et frôler le danger et l’indécence sans jamais commettre l’irréparable.

Ou au moins pour pouvoir me promener dans un champ, une forêt ou une vallée jusqu’à ce que le béton me manque.

3 réflexions au sujet de “Dépaysement”

  1. ça s’appelle l’ivresse ça …la liberté aussi …
    J’ai connu ça au bord de l’océan sous l’équateur, puis à la campagne … cheveux emmêlés, courir, tomber, se relever, avoir peur, se marrer, être crado, être une vraie sauvageonne … bouffer la vie quoi …
    Elle n’est pas loin de toi la campagne … Je suis en région parisienne, et le soir, parfois, je peux voir la Tour Eiffel au loin et les renards traverser la route juste devant moi. Magique … comme un rappel à l’ordre.

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  2. Oh c’est marrant cet article, parce que j’ai vécu la même expérience à l’adolescence mais dans le sens inverse. Vers mes 12 ans mes parents ont déménagés dans un tout petit village Auvergnat qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui que tu décris.

    Ado avec mes amis on trainait de jour comme de nuit dans les rues, on allait souvent au cimetière, ça nous paraissait tellement normale. Le village était entouré de bois, et parfois on passait des journées à les parcourir en allant toujours plus loin… mais ça c’était le côté positif, c’était surtout pendant les vacances scolaires, mais sinon le reste du temps j’ai quand même énormément souffert de l’isolement là-bas. Parce que tous mes amis vivaient dans d’autres villages aux alentours et qu’il n’y avait pas de transports en communs, donc il fallait que les parents acceptent de nous trimballer en voiture chez les uns et les autres pour qu’on puisse se voir, et ce n’était pas toujours le cas (les miens travaillaient le week-end). Du coup la plupart du temps j’étais toute seule, et il n’y avait absolument rien à faire, et les week-ends d’hiver me paraissaient souvent très longs…

    Donc pour le coup moi j’étais hyper heureuse quand je pouvais passer les vacances sur Paris avec ma meilleure amie, on allait chez ma grand-mère qui avait un appartement là-bas. Prendre le métro, aller au cinéma, voir des concerts, faire du lèche vitrine dans les boutiques goths de Châtelet, aller au cimetière du Père-Lachaise… On parcourait Paris de long en large et pour nous c’était ça la vraie liberté.

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