Je te raconte ma vie

Je (p)rends les armes

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© Polly Nor

Ça y est, je suis prête. J’avais juste besoin de rassembler forces et matos, et maintenant je suis prête.

Puisque j’ai pris le parti de tout vous dire sans censure et de vous offrir une vue réelle de ce que c’est de vivre avec la dépression au jour le jour, autant vous le dire tout de suite : à compter d’aujourd’hui, je suis sous anti-dépresseurs.

C’est ma psy qui en a d’abord fait la recommandation, mais n’étant pas psychiatre, elle a dû m’aiguiller vers une généraliste qualifiée, connue pour ne pas faire les choses par-dessus la jambe et pour prendre bien soin de donner des traitements adaptés à chaque patient.

C’est ainsi que je me suis retrouvée dans son cabinet aujourd’hui pour subir un interrogatoire qui a duré une quarantaine de minutes pour passer en revue tous mes antécédents, tant au niveau du cerveau que du reste du corps. On a parlé de mon enfance, mon adolescence, ma première thérapie, la seconde, la mort de mon père, mes problèmes d’alimentation, de sommeil, de motivation, la totale. Quand j’ai parlé de ce que je ressentais au quotidien, elle m’a cité Emma la clown qui parle de l’envie d’être non-vivant. On peut difficilement faire plus juste. Elle en est donc arrivée à la même conclusion que ma psy : à ce stade, l’intervention d’un traitement est devenue indispensable.

J’ai eu la chance d’abord de tomber sur une amie qui a pu me recommander ma psy géniale qui elle-même m’a recommandé cette généraliste-gynécologue géniale, et pour ça, je remercie les étoiles. Cette espèce de chaîne de force féminine était pile ce dont j’avais besoin pour rassembler mon énergie et trouver comment mettre fin à toutes mes souffrances, comment trouver l’envie d’avoir envie, le désir de faire, toute cette motivation qui me manque depuis si longtemps.

Parce qu’aussi loin que je puisse m’en souvenir, je n’ai pas vécu une journée qui n’ait pas été teintée de souffrance, de peine, de mal-être et de colère. Et que, si ça a pu me servir à une époque pour faire le tri, brasser la merde et y trouver ma vocation et mes mots, aujourd’hui je n’ai plus besoin de tout ça. C’est dur à admettre, parce que j’ai l’impression que ça me définit depuis toujours, et si je ne souffre pas, alors qui suis-je ?

Puis je repense à l’enfant que j’étais, qui n’avait certes pas la vie la plus rose, mais qui voyait le positif partout, qui était extrêmement sociable (peut-être trop), toujours prête à tenter de nouvelles choses, partir à l’aventure, se mettre en scène sans se planquer derrière un masque, par pure envie de faire rire, plaisir, ressentir. Finalement, c’est ça que je suis. Si on enlève la montagne de merde qui s’est abattue sur le coin de ma gueule au fil des années, si on enlève les violences, la maltraitance, le harcèlement, les pertes, les trahisons, il reste ça. Et qui ne voudrait pas découvrir un tel trésor sous ce tas de purin ?

Aujourd’hui, j’ai toutes les armes. J’ai des projets professionnels concrets extrêmement excitants, avec des vrais gens qualifiés qui ont des vraies attentes. Des projets qui correspondent à des rêves que je nourris depuis une éternité. J’ai des gens qui me comprennent et qui patientent sagement autour de moi, qui prennent le temps de me laisser le temps, même quand c’est dur, même quand c’est fatiguant. Mais surtout, et c’est le plus important, j’ai moi. Moi qui ai envie d’aller mieux, d’aller bien, d’être heureuse, de construire des choses, d’aller vers un avenir plus doux, moins douloureux, plein de rebondissements, d’essais et de victoires.

J’aurais mis le temps, mais me voilà enfin arrivée dans mon camp. Je peux enfin me compter parmi mes alliés. Encore une fois, il a fallu que j’atteigne le fond du puits et que j’essaye de creuser encore plus loin pour réaliser que je n’avais plus que deux solutions : m’allonger en attendant mon sort, ou appeler à l’aide pour trouver la force de me relever. Et je n’aurais jamais pu le faire seule.

La solitude est le pire ennemi de la dépression, parce qu’elle semble logique et inévitable. Parce que les gens ne comprennent pas, qu’on ne veut pas leur imposer notre état, que c’est beaucoup trop dur de sortir, parler, répondre aux « ça va ? » et aux « quoi de neuf ? ». Mais si on la laisse prendre trop de terrain, la solitude étouffe, déforme les propos et les pensées, déforme nos traits et notre caractère, et tout a l’air de sortir d’une galerie des horreurs. La solitude est possessive, jalouse, territoriale. Elle nous enferme dans une tour sans porte ni fenêtre, et s’assure de faire en sorte que l’idée même de chercher à en sortir nous soit insupportable. On n’y arrivera jamais, c’est sûr, ça sert à rien d’essayer, ça fera juste mal, encore et encore, et on ne peut plus avoir mal. Et la solitude anesthésie, nous enroule dans du coton, nous permettant d’oublier qu’au-delà de la souffrance se trouvent aussi bien d’autres choses.

Plus j’écris, plus je rends ces choses publiques, plus je culpabilise. Parce qu’on m’a toujours dit que c’était honteux d’avoir mal, et encore pire d’admettre qu’on était sous traitement. C’est un truc de faible, de taré, de gens qui ont des faux problèmes et qui ne sont pas capables de se gérer seuls. Admettre qu’on est un malade mental n’est pas le truc le plus glorieux qu’on puisse faire. Et pourtant, c’est par la parole et le partage que les idées se transforment, et je n’en suis pas à mon premier épanchement. On n’en est plus à un TMI près. Et si Jack Parker ne raconte plus sa vie sur internet, ce n’est plus vraiment Jack Parker.

Je crois que je suis enfin prête à découvrir celle qui se cache derrière la dépression. Je suis sûre qu’elle a deux-trois trucs à raconter aussi et qu’elle s’en sortira très bien sans ses longues tirades déchirées et larmoyantes. Il est temps que j’aborde le sujet de façon plus théorique et que je sorte de mon nombril.

16 réflexions au sujet de “Je (p)rends les armes”

    1. La prise de petites pilules n’est pas une fatalité, cela fait un moment que j’ai cette béquille et je revis! Bravo Jack de parler de cela, de parler de toi! La dépression est une maladie mais ne doit pas faire de nous des parias! Go go go!!! You Rock! 😊

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  1. On diabolise beaucoup les antidépresseurs, je pense à tort. J’ai un souci dans ma production de sérotonine, ce qui provoque des sautes d’humeur insupportable et me rend encline à la dépression. On m’a donc mise sous une petite dose d’antidépresseur il y a des années et, clairement, c’est nettement plus vivable.
    Même si je risque d’en prendre à vie, et alors ? Les schizophrènes sont sous traitement à vie, les diabétiques aussi, on en fait pas tout un foin.

    Bon courage !

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  2. Pour connaître un peu la chose, il n’y a pas forcément à en avoir plus honte qu’une autre maladie. Il n’y a pas non plus à stigmatiser ni à diaboliser quoi que ce soit. Et oui, tout ça garde une aura super négative généralement et malheureusement, un stigmate plus que dommageable. Mais, mais, mais, pour reprendre un des commentaires : on les diabolise, peut-être pas vraiment à tort, mais plutôt pour les mauvaises raisons.

    Pour l’explication : c’est différent pour chaque personne et avec chaque traitement, ces cachets peuvent être une aide indispensable et salutaire, évidemment. Cependant, ils restent des composés chimiques souvent agressifs pour le corps, pouvant engendrer dépendances et autres effets. Donc en prendre à vie, et alors ? Bah et alors à petite dose peut-être (je ne suis pas un expert), mais si c’est ponctuel et que l’on peut les écarter à un moment donné après qu’ils nous aient sortis de la merde… pourquoi pas aussi. Si on ne peut pas, ce n’est pas dramatique non plus, il faut seulement adapter les choses au mieux (duh ^^ »).

    Ce n’est pas pour être plombant ni rien, ça reste une échappatoire géniale pour éviter les cercles vicieux et enfin voir autrement, enfin réussir à ciller sur le réel. Mais même si ce que j’écris est évident, déjà signalé par les pros de la santé (ce qui n’est pas toujours le cas) ou heurte (ce que je n’espère pas), je voulais l’écrire au cas où. Pour être réaliste et envisager leur aspect possiblement temporaire et la considération d’alternatives (si possible). Si possible aussi, en gardant l’enthousiasme et la positivité de tout ça, parce que ça ne change rien au fait d’être enfin armé.e.s et prêt.e.s à progresser =).

    Super courage, super projets et tout le positif possible. Have fun exploring !

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  3. Tu as encore une fois les mots justes, ta description de la solitude m’a pris au coeur car c’est exactement ça.
    C’est bien que tu ais trouvé les bons médecins, qui te suivent et te donnent le bon traitement, car parfois on a plus le choix et il faut en passer par la pour un temps.
    Encore bravo ! Tu es excessivement forte et cela se voit dans tes choix, car accepter d’être aider… putain c’est pas facile, et faut avoir des couilles pour oser aller la chercher, la demander, ou ne serait-ce qu’y penser.
    Pour tout ceux/ce qui te fait culpabiliser parce que tu souffres, c’est ceux là qui n’ont rien compris, car c’est ça aussi d’être en vie, de vivre. Ressentir des choses et être assez fort et intelligent pour les vivres, les comprendre, les digérer, les accepter et en fait quelque chose.
    Parce que pour qu’il y ait de la joie, du bonheur, de l’excitation. Ses instants si vivifiants et qu’on attend tous, seront encore plus puissant au regard de ce que tu as vécu. Le fond que tu as touché c’est aussi le plus grand élan que tu puisses avoir pour aller au plus haut. Ca paraît peut être bateau ce que je dis, mais je pense qu’au vu de ce que tu vis tu comprends exactement ce que je veux dire.
    Tu peux être fière de toi ! Encore une fois.

    Je t’embrasse ma belle :*

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  4. La culpabilité, c’est le passage obligé quand on nous a appris que demander de l’aide c’est la faiblesse, que les anti-dépresseurs c’est des trucs pour les gens dans les asiles et qu’être pas bien mentalement c’est une insulte. Et tout ça est faux.
    Bravo, tu as pris ton courage a deux mains, tu as tout de ton coté : tu vas y arriver, et je promets que le tunnel à une fin, et que l’or est bien là, derrière la matière noire.

    De celles qui ont guéries, go!

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  5. Tout ce qui est psy effraie les gens : la peur de perte de controle entre autres, l’orgueil aussi…
    Mais les vrais fous ne se soignent pas 😉
    Ne culpabilise surtout pas tu fais ce qu’il faut pour t’épanouir : se soigner c’est ne pas faire souffrir les autres, ne pas se ronger et ne pas finir aigri ou en bombe humaine.
    La depression c’est 2 déséquilibres : psy et organique.
    La thérapie tient la main de la psyché qui fait son travail, les medocs réapprennent à l’organisme à s’equilibrer.
    Les medocs permetttent d’être moins sensible à ce monde aussi et vu son état ce n’est *pas* superflu.
    Ta lucidité est touchante et c’est une extrème force dont tu ne te rends peut être pas encore compte mais qui va te permettre d’avancer dans la comprehension de toi , ton histoire, tes rapports aux autres, tes qualités et plus generalement…la vie ;).
    Rappelles-toi, quand c’est difficile, que tu réapprends à te connaitre.
    Et dernier truc, le monde ce n’est pas le show biz et les sourires forcés, parfois ca va pas, parfois ca va mieux, parfois ca va très bien : sois toi-même.
    Si aujourd’hui t’as du mal à sourire : ça ne conditionne pas demain.
    Tu continues et il viendra un demain où ce ne sera plus un effort.
    Partages si tu en as envie, ne te forces pas.
    Bon courage !

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  6. Je t’aime.
    Dans ta sensibilité, dans ta fragilité, dans ta force et ta capacité à retranscrire ton univers en mots qui atteignent, en mots qui touchent. Dans ton exigence envers toi-même, dans ta franchise. Ces parcelles de toi que tu laisses entrevoir sont tellement vraies. Elles vibrent et atteignent tous ceux qui ont cette même sensibilité. Merci pour tout ce partage.
    Merci.
    Vraiment.

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  7. Courage à toi jack parker,jsuis dans la même situation depuis 14 mois et c’est vraiment la merde tou ces trucs qu’on ressent quand on est comme ça, même les amis les meilleurs amis , y captent rien et ça rend fou . Toutes ces putains djournees passée dans au lit jme sens en sécurité, aucune envie d’affronter la réalité .ya tout qui trop dure dehors et des fois on dirai que ça va mieux mais tout le temps en train de lutter on dirai .moi ça fais depuis l adolescence que ça allais pas et ça fais 2 piges j’ai craqué tout est ressorti .une putain de façade j avais construit , toutes mes connaissance ils me croyaient au top alors que en faite j’ai cette putain de tristesse qui me lâche pas bref .bah courage jack parker j’aime beaucoup tes blog jte suis depuis quelques années , depuis mandy reeks brefff. Désolé pour les fautes , j étais parti pour dire courage et envie dparler brefff.bonheur à toi

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  8. Très beau et très fort texte jack comme toujours… et pour le coup (et c’est bon pour le moral) des tas de bisous de la famille, celle que tu avais vu un jour par webcam (tu dois plus te souvenir) avec ma fille Lou. Je l’ai fais lire à Lou (13 ans), nous en avons discuté, ton texte permet de mettre des mots sur un membre de la famille qui vit cela actuellement. Rien que pour ça merci… on t’embrasse très fort.

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  9. Merci. Comme tu l’écris, la solitude est le pire et lire ton texte me fait me sentir un peu moins seule, un peu moins isolée du reste du monde qui navigue légèrement. Je te l’avais déjà demandé, tu n’avais peut-être pas vu, mais si tu es encline à partager les coordonnées de ta psychologue j’aimerais vraiment essayer de travailler avec elle. Je pense que j’ai besoin d’aide et ton post me confirme ce pressentiment. Il y a sûrement une autre vie que celle-ci.

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  10. Un seul mot : merci.
    Etre au fond du puit depuis 6 mois et tomber sur ton texte par hasard est juste une véritable bouffée d’oxygène. Je n’ai pas encore eu la force demander de l’aide mais ton témoignage a au moins le mérite de m’y faire réfléchir.
    Bravo et courage pour la suite 🙂

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