Pop Culture

Jennifer Check, succube de mon coeur

Depuis quelque temps, je commence à voir apparaître de plus en plus d’articles chantant les louanges, tardives certes, du film Jennifer’s Body.

Sorti en 2009, réalisé par Karyn Kusama et écrit par Diablo Cody, c’est un film qui a été probablement aussi mal vendu que mal compris. Et sans aucun doute mal compris parce que mal vendu. Je me souviens très bien de ma propre réaction en sortant de la séance, d’ailleurs. C’était au UGC des Halles, j’y étais allée avec des copains de fac, ça s’était marré pendant toute la séance – des rires clairement moqueurs – et en sortant, tout le monde a dit la même chose : « C’est moi ou c’était vraiment de la merde ?! ». Et j’ai acquiescé. Et j’ai crié plus fort que les autres (parce qu’en tant que « spécialiste » des films d’horreur c’était mon opinion qui avait le plus de poids dans la dynamique de groupe) que ouais, pffft, trop, de la merde sérieux, et puis Megan Fox, quelle grosse pouffe, elle est même pas si belle et elle joue comme un pied. Pour ma défense, j’avais 22 ans et les discours sur le féminisme et le slut-shaming et la misogynie internalisée n’avaient pas encore percé dans le milieu mainstream. 

Mais la vérité, c’est que j’avais adoré. J’avais eu trop peur de me mettre à contre-courant – j’avais une réputation à préserver – et surtout je ne comprenais pas encore pourquoi j’avais aimé, et j’aurais été bien incapable de l’exprimer. Je détestais Megan Fox parce que j’en étais monstrueusement jalouse – tous les mecs étaient fous amoureux d’elle, parlaient sans cesse de ses seins, de son cul, de sa bouche de suceuse, et moi j’étais dix ligues en-dessous, au moins. Comme Jennifer le dit si bien dans le film « You’re totally jello, you’re lime green jello and you can’t even admit it to yourself ». Verte de jalousie et pas tout à fait prête à l’admettre. Elle était tout ce que je ne pourrais jamais être – un fantasme, élevé au rang de divinité, inatteignable et sublime. Ce qui explique sa présence dans le rôle titre de Jennifer’s Body. Ce qui explique le sous-texte. Ce qui explique, en partie, le four que le film a fait. Toute la communication, toutes les campagnes de pub, ont saboté le film en ne misant que sur un angle : la plastique de Megan Fox et sa capacité à haranguer les foules simplement en se passant la langue sur les lèvres.  

J’ai mis quelque temps à revisiter le film par moi-même, au calme, sans la pression de devoir performer socialement pour me conformer à l’opinion générale, et en laissant ma jalousie de côté, et depuis, j’ai dû le revoir une dizaine de fois. Comme pour Ginger Snaps (dont je parle tout le temps et que j’aborderai sans doute dans cette même rubrique un de ces quatre), Jennifer’s Body pousse le féminin monstrueux à l’extrême. Il prend tout ce concept terrifiant qu’est la femme consciente de son pouvoir pour l’élever au rang quasi-mythologique. Toute cette rage qu’on garde ancrée dans nos tripes, toutes ces choses qu’on fait parce que c’est ce qu’on attend de nous, tous ces stratagèmes à travers lesquels on se sent forcées d’exister se retournent enfin contre les oppresseurs. 

Le monstre que devient Jennifer Check nait d’une agression violente perpétrée par les membres d’un groupe de rock  qui décident de la sacrifier pour compléter le rituel qui leur permettra de devenir riches et célèbres. Seul souci : c’est une vierge, qu’il faut sacrifier, et Jennifer n’est même pas une « backdoor virgin » comme elle le rappelle à sa meilleure amie Needy. Laissée pour morte, elle réapparaît légèrement changée, et soudain très, très affamée. Elle refuse catégoriquement d’être traitée comme une victime et déchaîne sa rage non pas sur ceux qui sont responsables de sa transformation mais sur sa meilleure amie, et les pauvres mecs qui rêvent de poser leurs pattes sur le corps parfait de Jennifer.

Ce n’est pas exactement un film de vengeance, c’est un film de transformation, de destruction, qui montre comme un évènement traumatisant peut radicalement changer la façon qu’on a de voir le monde et de se comporter face à ses congénères. Récemment, Megan Fox s’est exprimée sur l’affaire #MeToo en disant qu’elle a fermé sa gueule à l’époque où tous les témoignages ont commencé à faire surface parce qu’elle pensait que peu de monde serait capable d’avoir de l’empathie pour elle. Elle avait déjà tenté, il y a des années, de dénoncer le comportement de Michael Bay sur les tournages auxquels elle a participé, et tout s’était retourné contre elle. 

Megan Fox est trop belle, trop parfaite, trop à l’image d’Hollywood et trop peu reconnue pour ses talents d’actrice (Jennifer’s Body est une énorme exception sur son C.V.), et elle était persuadée que personne ne pleurerait pour elle. Si Jennifer’s Body sortait aujourd’hui, on le verrait complètement différemment, et il serait sûrement beaucoup plus encensé et associé à cette lutte qui domine l’industrie depuis quelques mois. 

Bref, à la base j’avais pas prévu de digresser à ce point, je voulais juste exprimer mon amour pour ce film, pour Jennifer, pour Megan Fox, pour la réal de Karyn Kusama et pour les dialogues complètement perchés de Diablo Cody qui donnent un charme tellement unique à l’oeuvre complète. C’est dans la lignée de Jawbreaker ou des premier films de Gregg Araki, avec un peu de Clueless et de Mean Girls – sans oublier l’inévitable scène de marche au ralenti dans les couloirs du lycée dont tout film centré sur un personnage féminin monstrueux a besoin, à mon sens (cf. Ginger Snaps, ou même The Craft). 

Je choisis consciemment de ne pas aborder la relation entre Needy et Jennifer parce que ça mériterait un article entier et que je ne m’en sens pas à la hauteur. Le fait que Jennifer dévore des hommes mais séduise Needy, qui semble ne pas vouloir admettre que c’est pour Jennifer que son coeur bat vraiment et pas pour son mec qui sent la bouffe thaï, mériterait d’être analysé plus en profondeur. Mais là aussi, c’est un aspect du film qui a été complètement oblitéré par le discours de l’époque qui était simplement de l’ordre de « AGHAGAGHAH MEGAN FOX ET AMANDA SEYFRIED SE ROULENT UNE GROSSE PELLE ET SE TOUCHENT LES NICHONS » – mais bon, c’était 2009, on était jeunes et cons. 

Jennifer Check est odieuse, méchante, monstrueuse, manipulatrice, dangereuse, affamée, mais elle n’est que le produit de tout ce qu’on a pu projeter sur elle avant même qu’elle ait eu le temps d’affirmer sa personnalité et de l’attaque qu’elle a subi dans les bois. Et puis, comme elle le dit si bien quand Needy lui reproche de tuer des gens : « No, I’m killing boys ». Et c’est pas pareil. 

Sur ce, si quelqu’un peut me mettre cette image sur une quinzaine de cierges, merci de me contacter ASAP. 

Je te raconte ma vie

Et si, finalement…

Et si finalement, j’avais encore besoin d’un espace comme celui-ci, aussi désuet soit-il ?

Maintenant que je suis passée à l’audio, je retrouve un plaisir oublié. Celui de l’écriture personnelle, qui va plus loin qu’un tweet ou une légende Instagram (même si je ne renie toujours pas les réseaux sociaux et que j’y trouve toujours beaucoup d’inspiration et de plaisir).

J’en sais rien. Comme d’habitude, je ne vais pas faire l’erreur de faire des promesses que je ne peux pas tenir. Il y a de l’écho, par ici, et finalement ça m’arrange. Un peu de calme, ça fait du bien. 

Après, concernant ce que je pourrais avoir à dire, c’est encore une autre histoire. Il fallait que je fasse le test, en tout cas. On verra.

On verra. 

Pop Culture

Nowhere (1997) – Celluloid Love

Oh Gregg Araki, mon amour de toujours, mon chouchou, mon adoré, qui a sauvé une grande partie de mon adolescence isolée et dépressive, je lui dois tant.

Comme beaucoup, j’ai découvert le réalisateur avec The Doom Generation, le road movie meurtrier avec Rose McGowan, Jonathon Schaech et celui qu’on voit dans presque tous les films d’Araki (et on ne s’en plaint pas), James Duval. Je me souviens l’avoir téléchargé un peu par hasard avant de le regarder en pleine nuit en fumant clope sur clope dans mon lit d’ado (avec la fenêtre ouverte pour pas me faire engueuler, quand même) et m’être pris une claque gigantesque. Je l’ai regardé trois nuits d’affilée après ça, tellement j’étais sur le cul. Et si j’aime également ce film de tout mon coeur, ce n’est pas celui qui obtient la médaille d’or dans mon coeur en ce qui concerne la filmo d’Araki.

Après la claque de The Doom Generation, je me suis dégoté les autres films disponibles de Gregg Araki, j’ai pris une autre torgnole avec Mysterious Skin qui me hante encore aujourd’hui mais que j’ai étrangement beaucoup plus de mal à revoir (ok en réalité ça n’a rien d’étrange quand on sait que ça parle de pédophilie, disons que c’est vachement moins facile à digérer). Et puis je suis tombée sur Nowhere. Et alors là, j’ai convulsé de plaisir. Depuis, je l’ai revu approximativement six cent fois, rapport au fait que je reste avant tout une grosse maniaque obsessionnelle, et plus de dix ans après mon premier visionnage, je n’en suis toujours pas lassée.

Oui, c’est bien Rose McGowan, Traci Lords et Shannen Doherty. 

Nowhere, ce n’est pas une histoire, c’est mille histoires croisées – celles d’une tripotée d’adolescents paumés de Los Angeles qui passent leur temps à se défoncer et à se mettre des doigts dans les trous, parce qu’il n’y a que comme ça qu’ils se sentent vivants. C’est un film absurde, violent, brutal, drôle, mélancolique, tragique et comique, tout à la fois. Mais surtout, c’est une esthétique qu’on ne retrouvera plus jamais parce que, bien qu’on essaye de les faire revenir tant bien que mal, les années 90 sont bel et bien terminées et ne reviendront jamais, du moins pas à l’identique. Et vous le savez, s’il y a bien un truc qui me fait péter les plombs de bonheur et qui pourrait me faire le même effet que le reflet de Narcisse, à savoir me retenir piégée pour toujours, c’est bien l’ambiance 90’s trasho-gotho-hipsto-VHS.

Oui, on y retrouve aussi Rachel True, soit Rochelle de The Craft, parce que tant qu’à me faire plaisir, autant me faire double voir triple plaisir – je dis triple, parce que la chevelure indigo que vous voyez ci-dessus appartient à Kathleen Robertson qui joue une giga-garce qui répond au doux nom de… Lucifer. Comment voulez-vous que l’ado que j’ai été (wink wink) reste de marbre face à autant d’éléments ? Pas possible, déso.

J’aimerais vivre dans ce film, être ce film, manger ce film, le respirer, le fumer, je perds toute objectivité quand j’en parle tellement j’en suis folle. Folle de son fouillis, de ses couleurs criardes, de ses personnages caricaturaux et braillards, de ses discours pseudo-nihilistes d’adolescents en mal de sensations fortes, de ses tragédies, de sa fatalité. Vous pouvez même essayer de prendre un shot à chaque fois que vous croisez un acteur ou une actrice que vous connaissez, y a de quoi finir carpette à la fin de la pellicule.

Sans parler des décors…

Et des costumes, bien sûr. J’attends toujours une occasion de reproduire ceux-là avec quelqu’un d’autre pour une soirée déguisée :

Maintenant je vais aller bosser comme une adulte semi-responsable en luttant contre envie de fermer les rideaux, de me remettre au lit et de lancer Nowhere.

Je te raconte ma vie

And I know, I may end up failing too.

« J’ai commencé à écouter Ouï FM et j’ai entendu un groupe que j’aime bien, ça s’appelle Linkin Park, tu connais ? » 

Voici ce que j’ai dit à Xavier, un de mes seuls camarades de classe avec un style vaguement punk rock, qui est devenu, un peu par hasard, un de mes premiers mentors musicaux. L’album Hybrid Theory venait de sortir et In The End passait en boucle à la radio et à la télé. Je commençais à découvrir le rock/métal de mon ère, après avoir majoritairement écouté les vieux groupes de mes parents, et j’ai été immédiatement fascinée. Pour moi, ça a été le coup de foudre. C’est ce qui m’a poussée à me jeter sur Xavier pour lui en parler le lendemain, sûre qu’il allait pouvoir m’aider à en savoir un peu plus. Et j’ai eu raison de le faire, parce que deux jours plus tard, il a débarqué au collège avec un CD gravé rose bonbon sur lequel il avait gribouillé « Linkin Park – Hybrid Theory, enjoy =) ».

Aujourd’hui, Chester Bennington, le chanteur de Linkin Park, s’est suicidé. Et même si ça fait bien longtemps que je n’aime plus Linkin Park (en dehors de Hybrid Theory et Meteora, entendons-nous bien), j’ai le coeur complètement brisé.

Chester a donné une voix à ma souffrance adolescente, à mon mal être, à ma peur constante de décevoir, à ma douleur, mon envie de disparaître, de mourir, d’être effacée, mais aussi celle d’exister plus fort que les autres, de renaître de mes cendres. C’était le symbole de la dualité de ma personnalité, entre la dépression et la rage de vivre. J’ai pleuré des litres de larmes en l’écoutant crier, je me concentrais sur sa voix et ses mots quand le simple fait de respirer devenait une épreuve, quand un poids m’écrasait la poitrine et m’empêchait de dormir, quand la douleur était si forte qu’elle m’engourdissait complètement.

Et je sais que nous sommes extrêmement nombreux à avoir vécu la même chose grâce à Linkin Park. On les a connus, expérimentés, vécus et ressentis de la même façon. Avec des mots simples, ils ont réussi à verbaliser l’essence de tout ce qu’on ressentait de plus moche, tout en laissant une part à l’espoir de la guérison, la possibilité de s’échapper, de se libérer enfin de nos chaînes, peu importe leur taille.

Je me souviens qu’on s’embrouillait régulièrement avec « les grands » qui écoutaient du « vrai » métal et pas nos « merdes commerciales » et qu’on devait se défendre d’écouter Linkin Park, KoRn, Slipknot ou Marilyn Manson sous peine de perdre notre carte de membre du club des vrais métalleux. J’ai commencé à cracher publiquement sur Linkin Park bien avant de ne plus aimer ce qu’ils produisaient – à la sortie de Meteora déjà, j’assumais vachement moins mon amour pour eux. Mais je les écoutais quand même en boucle, en espérant que personne ne me grille, et qu’on pense toujours que je connaissais mieux les paroles de Master of Puppets que celles de Breaking the Habit (encore aujourd’hui, c’est pas le cas, et pourtant Satan sait à quel point j’aime Metallica d’un amour pur et inébranlable).

Si il y a un sacré paquet de groupes dans le grand univers du rock dont les paroles parlent de mal-être et de dépression, celles de Linkin Park avaient l’avantage de ne pas être trop intellectuelles. Dénuées de métaphores et de tournures de phrases trop habiles, elles disaient simplement les choses telles qu’elles étaient, sans pousser plus loin, sans perdre personne en cours de route, et restaient à la portée de tous les niveaux. Pas besoin de scénariser quoi que ce soit dans l’écriture, pour dire « Je me sens mal dans ma peau », Chester chantait « Je me sens mal dans ma peau ». Point barre. Et si j’ai toujours aimé les beaux textes chiadés et bien écrits, avec de jolies trouvailles pour dire les mêmes choses que mille autres avant mais différemment, parfois j’ai juste besoin qu’on aille droit au but. Et pour ça, j’avais Linkin Park.

Les textes collaient à tous mes états d’âme. Quand je ne me sentais à ma place nulle part, j’écoutais Somewhere I Belong. Quand les névroses de mon père débordaient sur les miennes, j’écoutais Numb. Quand j’avais l’impression de cramer de l’intérieur et d’être sur le point de péter les plombs, j’avais One Step Closer. Quand ma dépression se glissait sous ma peau et tentait de me grand-remplacer, c’était Crawling. Quand j’étais persuadée d’être en train de vivre mon tout dernier jour sur Terre, j’écoutais From The Inside.

Il y a un mois, quasiment jour pour jour, j’étais avec mon mec et mes potes devant la Main Stage du Hellfest en train de rire devant la performance de Linkin Park, qu’on avait trouvée franchement médiocre – notamment parce qu’on ne pouvait pas blairer leurs nouveaux titres. Tout le monde autour de nous était assis, une vue assez rare à cette heure de la journée devant une grande scène du Hellfest et les « vrais puristes » tiraient la gueule, se demandant ce que ce boyband foutait au festival du métal. Malgré ça, nous étions une petite poignée dans le groupe à sauter et à hurler les paroles de tous les tubes dès qu’ils jouaient une chanson des deux premiers albums. Quand ils ont joué Numb, j’ai fondu en larmes et j’ai brandi mes majeurs vers le ciel, comme à 16 ans, pour évacuer toute ma peine et ma rage envers mon père. Je n’étais plus adulte, je n’étais plus snob, je n’étais plus mature, j’étais ado et meurtrie, et quelqu’un sur scène mettait les mots justes sur ma douleur – et j’ai pu renouer avec cette partie de ma vie l’espace d’une soirée, retrouver ce sentiment de libération, de soulagement, lorsque la souffrance est entendue, digérée et évacuée. Et pour ça, je ne peux qu’être reconnaissante.

La dépression n’est pas une blague, ni une passade. La dépression est monstre vorace et tenace, on peut la distancier mais on court toujours le risque d’être rattrapé un jour – cette peur fait partie de moi, et ma vie d’adulte qui voit ses héros en mourir à un âge où l’on penserait que tout est résolu en reste profondément empreinte. Du côté des vivants, à chaque départ, on promet aux morts de continuer le combat pour eux, pour nous, pour les autres – et je réitère ma promesse aujourd’hui. Elle ne pourra pas bouffer tout le monde, on s’accrochera de toutes nos forces.

Ce soir, je laisse mes convictions intellectuelles de côté, j’oublie mon snobisme, le chemin parcouru, et je me contente de dire merci. Merci, Chester Bennington.

Je te raconte ma vie

La mort et moi

Je n’ai pas peur de la mort.

Quand je dis ces mots, en général les gens paniquent et entendent « je serais chaude pour mourir là dans les cinq minutes qui suivent, no prob » ou alors « je me prends pour Simba quand il croit pouvoir impressionner les hyènes et qu’il dit qu’il rit à la face du danger ».

Sauf que ce n’est ni l’un ni l’autre. Je n’ai pas envie de mourir (du moins, pas 98% du temps), je n’ai pas hâte de mourir, je ne pense pas que la mort soit une partie de plaisir, je ne me mets pas dans des situations dangereuses juste parce que je m’en contrecarre l’utérus de mettre ma vie en péril. C’est juste que la mort, par définition, ne me fait pas peur. Le fait de mourir, ne me fait pas peur. La souffrance qui peut potentiellement précéder la mort, ça ouais ok, ça me fait peur, sachant que je chiale à chaque fois que je dois aller me faire épiler tellement je hais la douleur, je ne suis pas fan de l’idée d’agoniser dans d’atroces souffrances avant de connaître le repos éternel. Ce qu’il y a après, j’avoue que je m’en balance pas mal aussi, j’ai plutôt tendance à partir du principe qu’on redevient poussière et point barre, quitte à ce qu’on laisse une pincée d’énergie dans le coin pour accompagner les vivants qu’on laisse derrière, pourquoi pas, mais sinon boarf, quand c’est fini c’est fini.

Ça m’a toujours gonflée quand je refusais de faire des choses et qu’on utilisait le coup de « mais t’as pas peur d’avoir des regrets après ta mort ?! » pour tenter de me convaincre. Je ne suis pas certaine de me réveiller dans mon cercueil ou mon urne et de hurler « BON SANG DE BONSOIR J’AURAIS DÛ RENTRER AVEC CE MEC CE SOIR LÀ !!!!!!! ». Les regrets, c’est pour les vivants. Après la mort de quelqu’un, ce sont les vivants qui portent leurs regrets, leurs projections, leurs « et si », et leurs « si seulement ». Je le vois bien depuis que mon père est mort, et ça fait partie des trucs que je lui hurle quand j’ai les boules, que c’est pas juste que ce soit à moi de porter ce poids là, d’encaisser les regrets, les remords, les non-dits, les occasions manquées. Lui il s’en branle, il est bien, libéré de son fardeau, de sa souffrance, de sa conscience. Moi je porte tout ça pour deux. Et je suis furieuse, et ça me met hors de moi, ça me frustre et je passe beaucoup de temps à taper des pieds en geignant parce que c’est pas juuuuuuuuuuuuuuusteeeuuuuuuuh. Mais pour lui, oh, pour lui ça va, je ne m’en fais pas pour ça.

Donc non, je n’ai pas peur des regrets, je n’ai pas peur d’arriver de l’autre côté et de me dire que putain, merde, j’aurais dû aller faire le tour du monde en sac à dos, j’aurais dû moins complexer, mieux m’exprimer, choisir une autre voie, bosser plus, bosser moins, sortir plus, sortir moins, peu importe, on s’en branle. L’autre côté auquel je crois, c’est la dématérialisation la plus totale. Un flux d’énergie ne peut pas ressentir de remords.

Je n’ai aucun mérite, j’ai été élevée comme ça. Notamment par un père qui me répétait depuis mes 4 ans qu’il allait mourir jeune (lorsqu’il est tombé malade, il a lui même admis être étonné d’avoir atteint les soixante ans alors qu’il se voyait mort depuis belle lurette). J’ai vécu dans l’ombre de la mortalité de mon père toute ma vie, il me le rappelait sans cesse, n’arrêtait pas de me mettre en garde, mettait ses dernières volontés à jour et me les faisait signer en trois exemplaires à chaque fois, pour être sûr, on ne sait jamais. La mort fait partie de mon quotidien depuis toujours. On pourrait croire qu’une telle expérience m’aurait préparée à son véritable décès, mais non, rien ne vous y prépare, c’est même pas la peine d’y penser. Rien ne peut préparer à un tel ouragan.

Les promenades avec mon père, c’était souvent dans les cimetières – principalement au Père Lachaise – où je courais entre les tombes à la recherche de pots de fleurs à redresser, de feuilles mortes à nettoyer, de plaque à épousseter. Je passais mon temps à rendre les tombes aussi jolies que possible, à entretenir tout ce que les vivants avaient laissé pour leurs morts, c’était ma grande passion. Ça et les chats errants, sans surprise.

Il m’a fait regarder Le Septième Sceau de Bergman quand j’avais cinq ans. Peut-être moins. J’ai rien bité, évidemment, mais il m’a toujours raconté avec admiration à quel point j’étais restée coite et subjuguée pendant toute la séance. Je n’ai pas dit un mot, j’ai gardé les yeux rivés sur l’écran, et une fois que le générique s’est mis à défiler, je me suis tournée vers lui et j’ai dit « Dis Papou, un jour, tu m’emmèneras voir une Mort ? ». Il s’est empressé de noter cette anecdote, fier comme un pou d’avoir enfanté d’une jeune intello-morbide (alors que je n’étais, en réalité, qu’une enfant fascinée par une image sur un écran). Plus tard, j’ai ajouté « Tu sais Papou, si la Mort vient me chercher, je lui dirai ‘Non, non, ne me tue pas ! Je voudrais jouer avec tes enfants !' »

Il a toujours entretenu cette partie de moi. On était fascinés par les photos de scènes de crimes, de cadavres, de momies. Fascinés par les tueurs en série, aussi, puisqu’il m’en contait les aventures avant d’aller me coucher et je me délectais de chacune de ses anecdotes avec délice. Il dessinait beaucoup de crânes et de squelettes, me parlait de tout ce qu’il pouvait trouver de morbide et de sordide dans ses lectures et ses séances télé ou ciné. Ce n’était qu’un axe de notre relation aussi riche que compliquée, mais il a été celui qui a le plus découlé sur ma propre construction, à en juger par ma passion grandissante pour les films d’horreur qui a commencé, je le rappelle, quand j’avais 3 ans. Sans oublier les douze mille livres sur les tueurs en série qui peuplent ma bibliothèque et mon amour pour les émissions de type Les Enquêtes Impossibles – plus c’est sordide, plus je me régale.

C’est pour ça que j’ai choisi de me faire tatouer une petite faux mignonne sur le bras il y a quelque temps. La mort fait partie de moi. Ça n’a rien de morbide ou de triste, ça n’a rien à voir avec un quelconque désir de mourir ou même d’assister à la mort de quelqu’un (Perséphone m’en préserve, une fois ça m’a suffit merci bien). C’est juste pour me rappeler qu’elle est toujours là, et qu’elle est liée à tout un tas de souvenirs terriblement positifs et poétiques, qu’elle m’inspire chaque jour, qu’elle peut être belle, fascinante, mystique, et surtout, qu’elle laisse toujours place à quelque chose d’autre. Ça peut prendre un peu de temps avant de sortir le joyau du fumier, mais je finis toujours par le trouver, et je ne manque jamais de le chérir. 

Et si j’ai à peu près toujours tenu ce discours sur la mort, et le fait qu’elle ne me fasse pas peur, ce n’est que très récemment que j’ai réalisé à quel point. Il y a quelques mois, je me suis réveillée en pleine nuit malade comme un chien, sans trop savoir ce qui m’arrivait. Je me sentais horriblement faible, j’avais l’impression de partir, de faiblir, de m’éteindre. Très naturellement, j’ai pensé « Ça y est, je suis en train de mourir, je ne sais pas de quoi, mais c’est mon heure, c’est terminé ». Et je me suis sentie paisible. Un peu nerveuse concernant la suite des évènements, l’appréhension de la douleur, du moment où tout s’éteint, mais globalement sereine et à l’aise avec cette expérience à venir, et son inévitabilité. Mon mec dormait à côté de moi, et c’est le seul truc qui m’a chiffonnée – le traumatisme que ce serait pour lui de me retrouver morte à côté de lui au réveil, chose que je ne souhaiterais à personne.

Bon finalement, PLOT TWIST, je suis pas morte hein, mais j’ai été vraiment surprise de constater à quel point cette idée ne m’avait pas tant dérangée que ça, sur le coup. Je suis bien contente d’être vivante, et j’ai encore plein de trucs que j’ai envie de vivre, donc je suis assez pour que ça dure encore un petit temps cette histoire de vie, mais mon rapport à la mort fait partie des choses les plus réconfortantes pour moi.

Elle est là, elle existe, elle est inévitable et nécessaire, et finalement, c’est à peu près la seule certitude que je puisse avoir dans la vie aujourd’hui. Le reste est modulable. Le reste est imprévisible. La mort, elle, sera toujours là pour nous, à la fin. Y en a que cette pensée terrorise, moi elle m’apaise. Chacun ses ancrages.